Les écrivains bohèmes de Montmartre : la nouvelle exposition du musée d’art moderne Richard Anacréon
Le Musée d’art moderne Richard Anacréon réouvre ses portes pour la saison 2025 avec une exposition sur Les écrivains bohèmes de Montmartre le samedi 15 mars 2025.
Une collection de bibliophilie née grâce à Richard Anacréon
Richard Anacréon, libraire à Paris dans les années quarante, a donné à sa ville natale 280 œuvres d’art et 550 ouvrages à l’origine du musée d’art moderne. Cet ensemble compte de nombreux ouvrages et écrits en éditions originales, souvent dédicacés et truffés de correspondances, dessins et manuscrits. Ils représentent le fonds le plus important au sein des collections de bibliophilie du MamRA. Depuis la création du musée, des acquisitions l’enrichissent régulièrement.
Le MamRA met à l’honneur l’effervescence créative de Montmartre
Au tournant du 20e siècle, le quartier parisien de Montmartre exerce un formidable pouvoir d’attraction sur de jeunes écrivains, poètes et artistes désireux de s’installer dans la capitale mondiale des arts et des lettres. Son atmosphère de village, ses cabarets populaires, sa réputation sulfureuse et ses loyers bon marché, propices à la création d’ateliers et de cités d’artistes, contribuent à l’esprit bohème et libertaire recherché.
Venus de province ou de l’étranger, les hommes de lettres Guillaume Apollinaire, Francis Carco, Roland Dorgelès, Max Jacob, Pierre Mac Orlan, Pierre Reverdy, André Salmon y côtoient les peintres André Derain, Marie Laurencin, Amadeo Modigliani, Pablo Picasso, Suzanne Valadon, Kees Van Dongen, Maurice de Vlaminck, entre autres. Gen Paul et Maurice Utrillo comptent parmi les rares à pouvoir se revendiquer natifs du quartier. Cette forte émulation artistique favorise l’éclosion de courants avant-gardistes qui marqueront la littérature et la peinture du siècle naissant.
A travers les lieux de divertissement, les cités d’artistes, mais aussi les bas-fonds, les poètes et écrivains puisent dans leur vie montmartroise une source d’inspiration qui sera à l’origine d’œuvres aux styles et aux genres très différents. Si la plupart d’entre eux ne vivra que quelques années sur la Butte, nombre de leurs écrits continueront d’y faire référence, parfois avec nostalgie.

Illustration de Robert Sterkers
L’exposition-dossier propose de (re)découvrir à travers les ouvrages et les œuvres issues des collections du Musée d’art moderne Richard Anacréon cette période de liberté et de création intenses.
Les collections permanentes : Richard Anacréon, le donateur
Né en 1907 dans la Haute Ville, au 32, rue Saint-Jean, Richard Anacréon était un personnage étonnant qui marqua tous ceux qui eurent l’occasion de le fréquenter. Il n’a jamais laissé indifférent ni les amis artistes, ni les Granvillais. Très jeune, Anacréon recherche son indépendance ; il quitte Granville pour tenter sa chance à Paris à 17 ans. Un tournant important a lieu en 1925 lorsqu’il rentre par hasard dans l’administration du Petit Parisien, théoriquement pour un remplacement de trois mois. Il y restera de nombreuses années, côtoyant les écrivains et poètes de l’époque, qui y publiaient leurs écrits en feuilletons dans la presse.
En 1940, la vocation du Journal vient à changer avec l’occupation allemande. C’est alors que Valéry et Colette, devenus ses amis, lui conseillent de lancer sa propre entreprise. Il ouvre, en 1943, une librairie baptisée « l’Originale » en plein quartier Latin, au 22 rue de Seine et se spécialise dans la vente d’ouvrages en édition originale. Durant la guerre, mais aussi par la suite, « l’Originale » est un lieu de passage, où de nombreux artistes aiment à s’arrêter. Son renom est en outre facilité par le triple parrainage de Valéry, Colette et Farrère. Anacréon est l’ami de tous, et sa boutique est de plus en plus animée et fréquentée : Jouhandeau, Fargue, Utrillo, Derain, deviennent des visiteurs réguliers, auxquels s’ajouteront par la suite Cendrars et son éditeur Grasset. Le cercle s’agrandit avec Claudel, Carco, Reverdy, Genet, et Mac Orlan, pour ne citer qu’eux. Tous appréciaient le bagout et les mots d’esprit du libraire.
Parcours permanent renouvelé en mars 2025 : à la croisée des beaux-arts et de la littérature
Autour de deux thèmes représentatifs des collections, portraits et paysages, peintures, dessins et sculptures du 20ème siècle dialoguent avec une sélection d’ouvrages, manuscrits et correspondances.
Des dépôts d’artistes tels qu’André Lhôte, Raoul Dufy, Kees Van Dongen, provenant du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, complètent la collection de beaux-arts et de bibliophilie léguée par Richard Anacréon, libraire parisien originaire de Granville.

Salle des collections permanentes, Musée d’art moderne Richard Anacréon, Granville. © Benoit Croisy, coll. ville de Granville
En 2025, deux sections du parcours permanents sont renouvelées pour s’intéresser à l’émancipation de la femme et au dialogue entre les arts et la musique dans les collections du Musée d’art moderne Richard Anacréon.
Peindre la musique
À la faveur des bouleversements de la Révolution industrielle, les échanges entre arts visuels et musique s’intensifient dès la fin du XIXe siècle. L’ascension d’une bourgeoisie fortunée et la généralisation de l’instruction publique instaurent de nouvelles pratiques culturelles.
Cette période connaît des avancées majeures dans le domaine musical : de nouveaux instruments apparaissent, comme le saxophone, et d’autres gagnent en technicité. L’invention du gramophone et l’essor de la radio introduisent la musique dans les foyers. Parallèlement, la libéralisation des pratiques musicales hors des théâtres officiels favorise la démocratisation du divertissement : cafés-concerts, cabarets et bals populaires se multiplient. Cette effervescence donne naissance à l’âge d’or de l’illustration, incarné par les affiches iconiques de Toulouse-Lautrec ou Paul Berthon.
Les instruments de musique deviennent un motif pictural récurrent. Le piano, symbole de raffinement et d’éducation, occupe une place centrale dans la peinture de Caillebotte à Renoir, tandis que la musique populaire anime l’espace public avec fanfares et musiciens ambulants, immortalisés par Millet, Daumier ou Gen Paul.
Les affinités entre peintres et musiciens transparaissent dans leur vie personnelle ou à travers de fructueuses collaborations : Manet épouse une pianiste, Degas et Toulouse-Lautrec côtoient des musiciens, et Bonnard illustre les partitions de Claude Terrasse. Cette osmose préfigure les avant-gardes du XXe siècle et la quête d’une synthèse totale des arts.
L’émancipation de la femme
Correspondant et ami de figures emblématiques de l’émancipation féminine, telles que Marie Laurencin, Colette ou Natalie Clifford Barney, Richard Anacréon a constitué une collection illustrant l’évolution des rôles féminins et la liberté créatrice des femmes artistes ou intellectuelles.
Engagées durant la Première Guerre mondiale, les femmes revendiquent alors leur indépendance. L’après-guerre marque un retour aux modèles traditionnels de la maternité et du foyer, auquel succède une ère de bouleversements. Une frénésie de vivre s’empare de la population, désireuse d’oublier la guerre dans la danse et la musique. L’effervescence intellectuelle et artistique de Paris attire des artistes du monde entier, à l’instar de la peintre Sonia Delaunay ou de l’icône de la danse Joséphine Baker. Ces “femmes nouvelles”, investissent des sphères jusque-là inaccessibles et acquièrent une reconnaissance inédite. Leur quête d’émancipation dépasse le champ artistique pour s’affirmer dans leur mode de vie, leur apparence ou leur sexualité. Symbole de cette modernité, la « garçonne », femme affranchie au style androgyne, inspire couturiers et artistes. Coco Chanel révolutionne la mode en libérant les corps féminins, tandis que Suzy Solidor ou Kiki de Montparnasse deviennent les muses des artistes Tamara de Lempicka, Kees Van Dongen ou Moïse Kisling.
Au-delà de la sphère culturelle, cette évolution s’accompagne de conquêtes fondamentales telles que l’accès à l’éducation, au droit de vote et à des carrières professionnelles.